Festivals/Fiction TV de La Rochelle/Rencontre avec.../Séries

[Interview] Moah (OCS) : Les créateurs nous présentent leur nouvelle série sans dialogue

C’est lors de l’édition spéciale du Festival de la Fiction TV que nous avons rencontré Benjamin Rocher, réalisateur et créateur, Bertrand Soulier, scénariste et créateur, et Henri Debeurme, créateur de la série Moah lancée ce jeudi 1er octobre sur OCS. Présentation de cette nouvelle série originale.

Moah – Empreinte Digitale – 2020

Synopsis : Moah est différent. Une mère qui s’inquiète un peu trop pour lui. Un père absent. Un chef qui n’écoute jamais ses idées. Des acolytes jaloux et méchants. Zéro perspectives d’évolution. Puis il y a ce logement dans une zone à risque. Cette belle étrangère qui ne le remarque pas. Des voisins terriblement dangereux. Bref, la vie de Moah est compliquée. Et le fait que ce soit il y a 45.000 ans n’arrange pas vraiment les choses.

Moah est une série écrite entièrement sans dialogue et sans musique. Une idée originale et très audacieuse qui se base d’avantage sur la forme que sur le fond. On est émerveillé par la réalisation, les décors, le bruitage, les costumes et le jeu des acteurs. L’histoire passe clairement au second plan. Benjamin Rocher, Bertrand Soulier et Henri Debeurme, les trois créateurs de la série, répondent à nos questions.

Comment est venue l’idée de base de Moah ?

Henri : C’est venu de plein de trucs à la base. Je sortais de la série Mission, qui était très intense à faire mais cool, et je me demandais après ça, qu’est-ce qui me motiverait à refaire une série OCS dans des conditions hyper dures ? Et où est-ce qu’on pourrait trouver une originalité, un lieu, cette liberté ? Et j’ai tout de suite pensé à la préhistoire. C’est un truc qui m’a toujours passionné, quand j’étais petit je faisais les cours de préhistoire à la place de ma prof, je voulais être Indiana Jones entre 8 et 12 ans. Et en plus, je voulais raconter l’histoire d’un mec différent, dans un monde différent du notre. Et donc quelqu’un qui soit en décalage du reste du monde, donc la préhistoire. Voilà ce que j’ai imaginé. Et puis j’ai appelé mes copains, Benjamin et Bertrand, et on a imaginé la série à 3. C’est parti d’une envie, et de repousser les limites de l’imagination dans un cadre OCS.

Dès le départ l’idée était de faire une série sans dialogue et sans musique ?

Henri : A la base le truc que j’avais imaginé ce n’était pas ça, mais finalement c’est très vite arrivé dans la discussion, et c’est Benjamin qui a émit l’idée. Moi à la base je voulais faire la série en langue archaïque, j’avais imaginé que le personnage avait des pensées, et Benjamin a dit mais non on va aller au bout de l’audace, on va vraiment essayer de pousser l’audace et enlever les béquilles que la fiction a inventé pour raconter une histoire. Pour Benjamin et Bertrand c’était un peu un défi personnel de transcendé ça.

Benjamin : On s’est dit s’il y avait des gens assez fous pour regarder une série sur la préhistoire on s’est dit autant pousser le truc à fond et aller le plus loin possible. Je voulais que ça soit immersif, qu’on y croit un maximum, d’où la position très très radicale. A l’époque ils ne parlaient pas, c’était le début du langage, il fallait qu’on communique avec les personnages et surtout qu’on soit à leur hauteur. En tant que narrateur je voulais qu’on soit à leur niveau, donc ça sous-entendait d’écouter la musique qu’ils écoutaient à l’époque, c’est à dire pas de musique. Aussi la communication entre les personnages mais qui ne soit pas verbale. Avant qu’il y ait des phrases construites et un vocabulaire très riche, ils communiquaient bien entre eux mais pas verbalement. C’est un peu le sujet qui nous intéressait aussi, le début du langage, ce qui définit l’Homme.

Bertrand : Puis surtout quand on lit quelques ouvrages de référence sur la préhistoire, tout le monde dit tout et son contraire. On aurait pu travailler avec des linguistes et inventer un faux langage, mais on était dans quelque chose de faux. Donc en ne parlant pas on ne pouvait pas se tromper car il y a forcément un moment dans l’histoire où les gens ne parlaient pas. On s’est inspiré du langage des chasseurs. On a trouvé comment se parler et comment communiquer puis après c’est un travail des acteurs, on a beaucoup répété avec eux et avec des exercices très théâtraux.

Benjamin : Sans utiliser le langage mais également sans utiliser les codes contemporains. On a fait tout un travail avec les comédiens, je ne les remercierais jamais assez du risque qu’ils ont pris en se lançant là dedans.

Quel était le plus gros défi d’écrire une série sans dialogue ?

Bertrand : L’enjeu est simple, il faut rester vivant le soir. Il faut donc sauver sa peau en permanence. Il fallait donc raconter ça sans parole. Très vite on s’est aperçu que c’était loin d’être comme le cinéma muet. Nous on ne sait pas qui est qui, quand c’est, où c’est. Donc il a fallut trouver une gestuelle. Ce qui m’a beaucoup plu à écrire c’était le néant. Pour l’expliquer il fallait écrire tout « Tueur se lève il regarde Moah, Moah regarde tueur » et il fallait tout expliquer, on a galéré jusqu’au moment où est arrivé dans le scénario la notion de « l’air de ». Nous on comprenait quelle était l’intention et après c’était à l’acteur de se démerder. On a mis quelques mois mine de rien à trouver ce truc de « l’air de », une fois qu’on a trouvé « l’air de » ça a simplifié toute l’écriture.

Henri : C’était un enjeu à explorer à l’écriture mais on savait pas si ça allait marcher. C’était de grosses angoisses là-dessus. C’est pour ça qu’on a passé énormément de temps avec les acteurs. Il fallait avoir « l’air de » et que l’autre en face comprenne, tout ça sans aucun langage verbal, c’était un gros challenge sur la durée.

Benjamin : Quand Bertrand écrivait les scripts, on savait pas le temps que ça prendrait. Dans les logiciels de scénario 1 page égale 1 minute. On savait pas si pour faire 26 minutes il fallait 4 pages ou 48. On sait pas si ce qu’on écrit va prendre 4, 10 ou 20 secondes. On a tourné les 10 épisodes en 33 jours, il faut pas chaumer, il faut être efficace, donc on n’a pas envie de tourner des pages en plus. Il fallait qu’on anticipe et qu’on sache en avance les durées. C’était des variables qu’on adaptait tout le long de l’écriture. Jusqu’au bout c’était une surprise.

Comment avez-vous procédé concernant le travail minutieux sur le bruitage ?

Benjamin : C’était un des trucs que j’expliquais tout de suite quand je pitchais la série. Je disais c’est une série musicale mais sans musique, c’est à dire que je ne veux pas de musique pour qu’on reste à hauteur de personnage mais je voulais que ça fasse comme dans un cartoon, que ça danse, qu’il y ait un vrai rythme. A l’époque où l’homme avait une petite place, la nature prenait tout le reste, du coup quand tu sortais de ta grotte c’est comme si tu habitais à côté d’une autoroute, c’est le bordel, la pluie, le vent… la nature fait du bruit. Je voulais réorganiser l’espace sonore pour que toute la nature soit musicale. A partir de ça j’ai travaillé sur le son avec un monteur son, qui fait des bruitages et qui est aussi musicien. Que les oiseaux fassent un petit rythme, que le vent fasse un autre rythme, etc… L’équipe son a fait des merveilles.

De même, comment avez-vous procédé au niveau des costumes et maquillage ?

Henri : Petite anecdote, il se trouve que c’est ma compagne qui a fait les costumes de la série et je me disais quand je cherchais une idée de série à faire « qu’est-ce qu’on pourrait faire de vraiment marrant pour que ça soit une tannée pour elle de bosser ? » en déconnant bien sûr. Ce qui est génial avec ce genre de série c’est que c’est de la création à tous les niveaux, en musique, en écriture, en montage, et pareil pour les costumes. Ici on ne va pas chercher des costumes chez H&M, ici tout est de la pure création, c’est des peaux de bêtes qu’il a fallut découper, coudre, brûler. Une bonne partie des peaux de bêtes étaient faites chez moi, dans mon jardin. La costumière et son associé ont passé 15 jours a brûler les peaux de bêtes pour qu’elles soient patinées et qu’elles aient le vécu. C’était un défi incroyable pour eux, un défi de création. Le maquillage aussi, Benjamin avait des idées très précises, mais il fallait faire avec des produits de la nature. La plupart des spectateurs ont du mal à croire à la préhistoire avec ce qu’on a vu récemment, parce que c’est souvent rapporté à de la comédie ou de la parodie, c’est très caricatural.

Comment s’est déroulé le casting ?

Benjamin : C’était un casting assez particulier, car déjà pour faire un casting d’une série préhistorique sans langage il faut avoir envie d’y aller et aimer le risque. J’ai vu plein de gens en vidéo sur des exercices de théâtre, sur de l’impro, des mimes, des exercices d’école, voir comment ils réagissaient, comment passer d’une chose à une autre. Et j’ai vraiment sélectionné ceux qui me paraissaient les meilleurs mais aussi les plus complémentaires car j’avais besoin d’une troupe. Donc comme un casting normal sauf qu’on a pas de texte, que c’est de l’impro. On travaille finalement avec les gens qui ont le plus d’audace et aiment prendre des risques. Au final, on se retrouve avec énormément d’acteurs qui viennent du théâtre et qui n’ont pas peur de jouer avec leur corps et de se mettre en danger.

Avez-vous écrit la première saison en envisageant une saison 2 ?

Bertrand : En fait c’est très simple, au départ on m’a laissé carte blanche, j’ai écrit une saison 1 on m’a dit « c’est super mais elle coûte beaucoup trop chère », donc on m’a dit qu’il faudrait enlever les épisodes 7, 8, 9 et 10 et pousser du 1 au 6 pour que ça fasse 10 épisodes. Je me suis dit « ok super ça nous fera une saison 2 ». Et puis quand j’ai réécrit on ma dit « finalement on va garder de 1 à 4 et il faut en faire toute une saison » donc en réalité on a déjà la saison 2 et la saison 3.

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.