Complexité, tueurs en série, David Fincher est de retour sur Netflix avec Mindhunter. Un pari gagnant ?

Mindhunter – Netflix – 2017
Synopsis : En 1977, à l’aube de la psychologie criminologique et du profilage criminel au sein du FBI, les agents Holden Ford (Jonathan Groff) et Bill Tench (Holt McCallany), aidé par le professeur en psychologie Wendy Carr (Anna Torv) vont s’entretenir avec plusieurs tueurs en série pour tenter de comprendre leur façon de penser et ainsi acquérir des connaissances pour résoudre des affaires criminelles.
A première vue, l’association de David Fincher et la genèse du profilage est un gage d’un projet de qualité, tant l’obsession qu’a l’artiste pour les meurtriers s’est montrée fructueuse par le passé avec des métrages comme Seven, Zodiac ou encore Gone Girl. Là, David Fincher met au profit de la série tout son savoir faire, son esthétique au service de l’histoire de ces deux agents du FBI.
Joe Penhall (La Route), créateur de la série, et principal scénariste sur Mindhunter, nous donne l’occasion d’aller plus en profondeur dans la psyché de ces meurtriers célèbres, tel que Edmund Kemper, Jerry Brudos, Richard Speck ou encore Dennis Rader, le BTK Killer. Avec cette adaptation du livre du même nom et écrit par John E. Douglas, sortie en 1996, Penhall raconte la genèse du profilage et l’origine du crime. Sauf que la particularité de cette série, c’est son format. Ce n’est pas une série d’enquête. Évidemment que le genre policier, en particulier le Buddy cop show a été moult fois revisité, mais ici, David Fincher en fait une série cérébrale, remplis de dialogue, très loin des séries action ou thriller qui émane l’histoire de la télévision. Avec la mise en scène épurée et clinique, avec des teintes dénaturées et une rythmique glaciale. Fincher a en quelque sorte mis en boite une série fleuve malsaine avec 9 heures de dialogues. Et quels dialogues.
Fincher est un maître du cadrage et du montage. Filmer des dialogues et les rendre dynamiques est un exercice long et fastidieux, surtout sur une série aussi ambitieuse dans son propos. Tourné avec un angle ultra large en ratio 2.35:1, la sensation de distance est réellement un des effets clés qui contraste avec les propos monstrueux des meurtriers. Très peu de close-up, sauf à des moments clés, qui accentueront le caractère anxiogène de la scène, surtout dans l’épisode final. Un effort particulier est mis sur le ressenti du spectateur, à savoir qu’il est face à des hommes ayant perpétrés des actes inimaginables, tout en essayant de les comprendre. Un des motifs sonores qui accentue la distance avec la violence du sujet, c’est les coups de feu d’entrainement à Quantico, siège de l’académie du FBI. Pas une fois on ne voit une arme à feu dégainée, pas une fois nous ne verrons les personnages principaux tirer. Sauf qu’à chaque fois qu’une scène se passe à Quantico, on entend des coups de feux, pour souligner que la violence est palpable.
Holden Ford est un jeune agent du FBI, négociateur dans des prises d’otages, introduit dans le pilote en tant que naïf et ayant vécu une opération choquante. Pour tenté de comprendre le geste du preneurs d’otage, il se lance dans des recherches qui l’amène sur le chemin de Bill Tench, responsable du « Behavioral Science Unit ». Leur relation ayant cette qualité de la filiation, un peu le père qui lui apprend les rouages et un peu de réalité à ce jeune premier. Ensemble, ils vont de ville en ville enseigner aux policiers locaux leurs méthodes (le Road School) et surtout, les amener dans les villes où se trouvent les pires criminelles des Etats-Unis, pour les interviewer.
Leurs travaux attirent à eux des curieux, dont la Dr. Wendy Carr, qui se joint à leurs recherches. Elle leur apporte une aide précieuse à schématiser, analyser et modéliser leurs trouvailles dans leurs conversations. Cette équipe se heurte naturellement à leurs confrères locaux, qui ne comprennent pas leurs méthodes, ayant des regards réprobateurs. Ils n’envisagent absolument pas que l’on puisse essayer de comprendre les raisons des meurtres.
Attention Spoiler
La filiation est un des thèmes récurrent de la série. Souvent, et je résume sans doute la chose de manière simpliste, tellement il y a de chose à dire, les tueurs en série se posent en tant que victime de leurs enfance et leurs parents, la mère autoritaire ou le père absent. Et la série reflète énormément cette filiation dans la relation Tench/Ford, mais aussi dans Tench, père adoptif d’un petit enfant de 6 ans, qui refuse de parler. Au fur et à mesure que la série avance, on voit le parallèle ici flagrant avec Zodiac. Tench commence à ressentir le poids de ses voyages, physiquement comme émotionnellement. Son absence, sa fatigue, son cynisme font écho sur sa vie personnelle, lentement. Sauf qu’il a à ses cotés sa famille qui le soutient. Et lui permet de tenir la longueur. McCallany est un acteur dont on a souvent vu la trogne, mais ici, il est exceptionnel, tantôt charmeur, tantôt bougon, réaliste et sensible. Sa relation avec Ford apporte des moments comiques exceptionnels, allégeant la pesanteur et le sérieux du projet.
Ford est lui un homme bien sous tout rapport, un homme naïf mais équilibré, très sur de lui et un peu trop droit, voir banale. Sa relation avec une étudiante en psychologie, Debbie Mitford (Hannah Gross) attise encore plus sa curiosité sur la psychologie. Sauf, que son coté idéaliste prend le dessus et bascule doucement vers de gros risques, qui va le mettre en porte à faux avec le FBI. Son envie de comprendre ses sujets va parfois le mener à lui-même être au plus proche de leurs pensés, de leurs mentalités. Quitte à franchir la ligne. La performance de Groff est aussi exceptionnel, plus en subtilité car il ne laisse transparaître aucune émotion véritable. Il compartimente énormément de chose et Mindhunter joue beaucoup sur ce thème, sur les différents masques que chacun met en société.
La production, meneé par Charlize Theron, fait vraiment partie du haut du panier. La reconstitution des 70’s est parfaite, sans le glamoriser, en mettant l’accent sur le mode de vie de ces policiers de l’époque. Joe Penhall arrive à créer des situations et des dialogues de toute beauté. On est réellement happé et investis dans ces personnages, que ce soit Anna Torv ou encore Hannah Gross, qui ont elles aussi des rôles non négligeables. Et les performances des acteurs incarnant ces meurtriers sont magistrales bien qu’inégales, en particulier Cameron Britton en tant que E. Kemper, un vrai tour de force.
Mindhunter est véritablement un bijou pour ma part, tant par ce que l’on peut apprendre de la psychologie, mais aussi parce qu’il mélange habilement la réalité avec la fiction. C’est fascinant, engageant, troublant, et un peu déconcertant, tout en étant divertissant. Ce n’est clairement pas une série typique du genre, à savoir avec une enquête à résoudre à chaque épisode. L’ambition de Mindhunter, dans un environnement qui tend à glorifier et magnifier le tueur en série, c’est tout bonnement de le remettre à son niveau, celui d’être humain. Contrat réussi.
9.5/10