Séries Mania/Tout commence avec un pilot

[Séries Mania S7] « Marche à l’ombre  » vers la lumière

Dans une société internationale globalement de plus en plus contaminée par la peur de l’autre conduisant à un repli sur soi, la série québécoise Marche à l’ombre fait figure d’OVNI dans la production télévisuelle en nous proposant de nous interroger sur cet autre justement. Ce, quelques soient ses défauts. Et si on donnait à tout le monde la possibilité d’une deuxième chance ?

Marche à l'ombre

Marche à L’ombre – 2016

Synopsis : On suit la vie de quatre criminologues dans un centre de semi-détention, partagés entre leur travail et leurs vies de famille.

Au Québec – et au Canada en général, une peine de prison se voit automatiquement affublée d’une période transitoire en centre de semi-détention. Une personne reconnue coupable et se voyant emprisonnée, sera ainsi accompagnée pour son retour dans la société, et pas juste remis en liberté. A ce titre, en fonction de sa condamnation et de son comportement pendant cette transition, il se verra, par exemple, donner un couvre-feu plus ou moins tard, et devra se présenter quotidiennement au centre, pour des entretiens avec le/la criminologue qui le suit. En cas de manquement aux règles, le criminel peut se voir infliger un blâme, voire retourner en prison.

Marche à l’ombre fait partie de ces très rares séries arrivant à tout installer (cadre, personnage, situation, histoire, …) dans sa seule introduction. Le ton est donné, l’écriture posée ; on se dit alors que si la série tient ce niveau, on est face à une perle rare. La scène est ultra-réaliste, des plus communes, et se tient le soir dans le centre de semi-détention. On y fait la connaissance de Rachel (Laurence Leboeuf, l’interprète de Cody dans 15/A) attendant une personne en réhabilitation qui doit venir checker. La finesse de l’écriture est déjà là : sa force étant de nous faire croire à une scène réelle alors que tout est étudié pour optimiser – dans le meilleur sens du terme – son intérêt. Ainsi, avec la même impression d’authenticité, on passe d’une scène creuse qui voudrait imiter un documentaire, à une scène prenante, poignante, coup de poing. Cette scène montre Sébastien, un ancien détenu, arriver avec douze minutes de retard à son rendez-vous de couvre-feu. Elle repose entièrement sur la manière de s’exprimer de ce dernier, la réaction de Rachel étant parfaitement normale même si pouvant paraître dure – ce que la suite de la série nous fera nuancer. Elle se voit obliger de le renvoyer en prison – c’est la loi – et c’est seulement après qu’elle ait passer le coup de téléphone fatidique, qu’il lui donne la vraie raison de son retard. Une raison qu’il n’a pas donné car il enfreignait une loi pour une cause noble, une raison que le règlement n’aurait pas justifié, mais qui aurait sûrement amené Rachel à ne pas appeler la police. Sauf qu’il est trop tard… Le jeu des deux acteurs est magnifique et participe autant que l’écriture à l’émotion de cette scène. Le regard du détenu s’en allant avec la police et ses derniers mots avant son départ « douze minutes » résument à eux-seuls la force dramatique de la série. Ce qu’on ne sait alors pas encore, c’est que ce coup de poing va se transformer en uppercut.

La série prend le parti de s’intéresser à ses personnages. Evidemment son duo (puis trio) féminin en tête, mais aussi les détenus en réhabilitation. Elle prend son temps, pouvant s’affranchir du carcan habituel des séries à publicités, puisqu’elle est diffusée sur Super Ecran, une plateforme de streaming type Netflix. Ce qui explique un format plus long (52mn contre 45), et des épisodes à durées variables. Ian Lauzon, l’un des scénaristes (avec Ludovic Huot), dira d’ailleurs qu’il n’a jamais été autant libre sur une série. Et ce parti pris, elle peut pleinement l’endosser, car elle peut s’appuyer sur des personnages forts, qui s’assument et parfaitement interprétés. Que ce soit Laurence Leboeuf donc, Ève Duranceau (Tania), Catherine Brunet (Audrey, qui arrive dans le deuxième épisode) ou Éric Robidoux (Tom) – même si ce dernier est un peu plus en retrait en ce début de saison – ils nous transportent dans leur monde avec sincérité. Un univers partagé entre moments de joie et l’impact inhérent à leur profession sur leurs vies et sur eux-mêmes.
La scène du dîner entre amis qui les voit tous réunis avec leurs conjoints participe à la mise en situation puisqu’on y découvre tous les personnages d’un seul coup (elle arrive juste après l’introduction), sans présentation individuelle. On fait connaissance avec les seconds rôles, campés notamment par Mathieu Lepage et Jean-Sébastien Courchesne, qui sont à la hauteur des premiers. On a réellement l’impression de vivre une soirée entre amis un samedi soir. A ce moment, la série nous montre une autre qualité. A travers les discussions émergent des points de vue sur la société et notamment sur les femmes, mais sans jamais qu’on ait l’impression d’assister à la déclamation d’un manifeste féministe où la femme se doit de remplacer l’homme, avec tous les défauts et les erreurs que cela suppose. Ici, la subtilité prévaut, et le débat n’en est que plus intense, car les propos font réfléchir plutôt que soupirer face à la démagogie des arguments. La force des trois héroïnes, c’est leur personnalité, et c’est ce qui rend le message si puissant. Elles ne sont pas là en porte drapeau d’une cause, elles sont là par elles-mêmes. Elles ont donc leurs qualités, leurs défauts et surtout leurs propre avis sur le monde qui les entoure. Ce qui fait qu’elles ne sont pas forcément d’accord entre elles, et amènera une interaction intéressante entre Rachel et Audrey, qui ont une approche différente sur leur manière de travailler.

Là où le coup de poing se transforme en uppercut, c’est quand Sébastien, le détenu que Rachel a renvoyé en prison, se suicide. L’uppercut, c’est ce qu’on se prend en pleine tête face à la réaction de Rachel, à la fin du premier épisode. Conservant le principe même de la série de se vouloir réaliste, rien n’est épargné au téléspectateur. Les étapes du chocs sont présentes une à une, sans fioritures, ni théâtralité, ni filtres. Le personnage de Rachel, qui laissait entrevoir une certaine superficialité jusque-là – dans sa très particulière notion des relations amoureuses ou par certains comportements, nous montre une toute autre facette, dans une scène très poignante. Son émotion est empathique, et le choc d’autant plus ressenti. Une scène que Laurence Leboeuf a magistralement interprété et dont elle nous a dit qu’il y avait eu peu de prise pour préserver l’authenticité du ressenti.

Enfin, un mot sur le traitement des ex-détenus. Là encore la série est fidèle à elle-même et propose toute une palette de personnalités, avec leurs caractères, leurs passés, et leurs manières d’agir. La population carcérale est plurielle et la série le montre très bien. Une façon là encore peu commune de décrire ce monde. Il faut dire que Marche à l’ombre peut se reposer sur l’expérience de Josée Desrosiers, productrice de la série (avec Marc Poulin via la société Avenues Production) et ancienne criminologue. Elle nous a confié que certains cas étaient tels qu’ils avaient décidé de ne pas les utiliser, car en les voyant, les téléspectateurs auraient douté de leurs crédibilités, et pensé que la fiction avait pris le pas sur la volonté de réalisme affiché par la série jusque-là.
Dans le deuxième épisode, se trouve aussi un moment jubilatoire, lorsque Tania demande à transférer l’une des personnes qu’elle suit à un autre criminologue, car elle ne se sent pas objective, ayant un faible pour lui. Si elle a demandé en amont à ses collègues de ne pas se moquer d’elle, ils ne s’en priveront pas.

Marche à l’ombre propose un message d’espoir dans un monde télévisuel où le côté sombre prédomine généralement, avec le genre policier, les thrillers, et les polars. Sans omettre les difficultés liées au métier même de criminologue, ni tomber dans un optimisme utopique, la série propose, plutôt qu’une vision manichéenne du monde, une voie dans laquelle on peut donner une nouvelle chance à des détenus, sans pour autant être naïf.
La série québécoise a aussi le mérite de proposer des personnages forts, des pistes de réflexion sur des sujets importants, le tout dans un univers réaliste et prenant. Dans un monde sériel, qui voit de plus en plus ses personnages principaux édulcorés et stéréotypés, voir une série humaine pouvant reposer uniquement sur ses protagonistes entiers et complexes, amènent une fraîcheur bienvenue. On est donc bien en présence d’une perle rare.

9/10

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