Depuis quelques années maintenant, les séries israéliennes constituent une valeur sûre de ce genre audiovisuel. Avec des programmes comme BeTipul (qui a inspiré la série En Analyse sur HBO), ou plus près de nous Hatufim (à la base d’Homeland de Showtime), Hostages (sujet d’un remake sur CBS) et False Flag côté drama, ou Ananda côté comédie. Ce pays prouve, s’il le fallait encore, qu’on peut faire des programmes de qualité sans grands moyens, et surtout, sans copier les américains – c’est même l’inverse qui se produit. Il est donc normal d’en retrouver chaque année parmi la sélection du Festival Séries Mania. Pour cette édition, c’est Mama’s Angel et The Writer qui ont la charge de représenter l’état hébreu.

The Writer
Synopsis : Kateb (Yousef Sweid), créateur de la comédie Arab Labor, en pleine crise de la quarantaine. Alors qu’il pourrait avoir quasi tout pour lui – le succès de sa série, une famille, une situation confortable, … – il n’est pas bien dans sa vie. Il décide alors de procéder à certains changements, qui vont se révéler moins facile qu’il n’y paraît à mettre en place.
The Writer propose le récit semi-autobiographique de Sayed Kashua, déjà à l’origine d’Arab Labor, mêlant juifs et arabes dans une comédie. Une série exceptionnelle à plusieurs titres puisqu’écrite et jouée par des acteurs arabes, parlant parfois arabe, tout en étant diffusée en prime time en Israël. Comme son homologue réel, Kateb, le héros de The Writer, est lui aussi à la tête de cette série. Passé cela, la part du vrai et du faux sera beaucoup plus difficile à discerner. Yousef Sweid, l’interprète de Kateb nous a confié que, jouant une personne encore vivante, il voulait profiter de cette opportunité pour se renseigner directement auprès de Sayed, de ses proches, analyser son comportement… Pour le jouer à la perfection, ou tout du moins coller au plus près de la réalité. Ce à quoi ce dernier lui a répondu qu’étant tous les deux arabes, vivant la crise de la quarantaine, et donc dans la même situation, Yousef devait être lui-même plutôt que tenter de l’imiter du mieux possible. Quelque peu dérangé par cela, car il n’a pas choisi le métier d’acteur pour se jouer lui-même, il a finalement fait le choix d’un entre-deux. Dans le même esprit, Sayed Kashua s’est entaché à ne jamais révéler, même au cast, ce qui relevait de la fiction ou du réel. Sa seule incursion physique dans la série, viendra d’un caméo dans le dernier épisode, dans une apparition qui devait au départ être jouée par Benyamin Netanyahou.
Depuis Arab Labor, Sayed Kashua – qui vit désormais aux Etats-Unis, est très connu en Israël, particulièrement de la jeune génération. Yousef Sweid le considère d’ailleurs comme son professeur, même si lui ne le sait pas. De cette manière sa vie est globalement plutôt connue, ce qui a permis à l’acteur d’avoir une assez bonne vision du vrai et du faux dans le récit, mais il s’est bien gardé d’être précis à ce sujet.
La série met donc en scène Kateb (Yousef Sweid), créateur de la comédie Arab Labor, en pleine crise de la quarantaine. Alors qu’il pourrait avoir quasi tout pour lui – le succès de sa série, une famille, une situation confortable – il n’est pas bien dans sa vie. Il a envie de proposer une série plus sérieuse, dans un format drama qui ferait réfléchir le téléspectateur, et qui mettrait en scène sa propre vie. Une véritable recherche de catharsis, en fait. Sauf que, reconnu pour son écriture humoristique dans sa série à succès, il se voit cataloguer et a du mal à convaincre les producteurs et responsables des chaînes de lui accorder leur confiance. Pris dans cet étau où il ne s’épanouit pas professionnellement parlant, il doit en plus faire face à des tensions chez lui, puisque ses rapports avec sa femme sont pour le moins compliqués. Ce pour quoi il a une grande part de responsabilité. De plus, parmi ses trois enfants se trouve une adolescentes avec les problèmes que cela peut amener.
Dès la scène d’ouverture, le ton est donné puisque face à des personnes âgées, une femme l’introduit sur une petite estrade en annonçant « le créateur de ‘Jewish Labor’ » qu’il tente en vain de lui faire corriger en « Arab Labor ». La série va s’attacher à enchaîner des situations de vie où l’humour arrive malgré lui, ce qui le rend beaucoup plus sincère et efficace que lorsqu’il est provoqué. Ainsi, amenant son fils à son école laïque le jour de l’Ascension, et se retrouvant devant l’école fermé, il lui dit en gros « tu n’aurais pas pu me le dire que c’était un jour férié ? », ce à quoi un membre du personnel de l’école répond « Vous ne pouvez pas lui en vouloir de ne pas retenir les fêtes juives, musulmanes et chrétiennes » ; son école les respectant toutes. Un peu plus loin dans l’épisode alors que Kateb parle d' »occupation », son fils lui demande alors si c’est une fête religieuse.
Sur ces quatre premiers épisodes (sur dix) qu’il nous a été permis de voir, la scène que l’on retiendra incontestablement se situe dans l’épisode 2 ou 3. Alors qu’il se trouve dans un bar le soir (une habitude plutôt que d’être avec sa femme) avec un ami qui travaille avec lui sur la série, il tente d’approcher une femme. S’ensuit alors un dialogue des plus original (télévisuellement parlant) dans lequel chaque tentative d’approche de sa part lui revient dans la tête plus vite qu’un boomerang. Il se retrouve pris à son propre jeu, sans pouvoir se sortir de cette situation quoi qu’il tente d’inventer. Car cette femme, pas dupe, a très bien lu dans son jeu et ne se laisse pas avoir. La scène, qui semble durer un bon moment – une petite dizaine de minute peut-être – est superbement interprétée par les deux acteurs, et un pur régal pour le téléspectateur.
Dans le dernier épisode, on remarquera un plan original alors que Kateb discute avec une amie d’enfance proche d’une ligne de tram, et que lors d’un plan large, on voit le tramway passer et cacher les deux personnes en train de parler pendant l’intégralité de son passage. Episode qui sera aussi marqué par l’avis qu’a Kateb sur le projet scolaire d’arbre généalogique de sa fille.
Derrière cette façade remplie d’humour, se cache une véritable mise en situation des problèmes rencontrés dans cette région, évidemment entre Arabes (Palestiniens) et Juifs (Israéliens). Et ceux, dès le départ lorsqu’il est question que les enfants de Kateb et Ruba (sa femme) apprennent l’arabe, et qu’ils débattent dessus. Comme ce passage pas forcément évident à comprendre chez nous, où Kateb prend une auto-stoppeuse juive et se met à parler arabe, ce qui la traumatise. D’après Yousef Sweid, c’est une situation tout à fait probable de la vie de Sayed Kashua puisqu’une blague récurrente consiste à parler arabe, mettre de la musique arabe, lorsqu’on prend une personne juive en auto-stop. Ou encore le fait que la fille de Kateb se sent obliger de cacher la vérité lorsqu’elle doit raconter une part de son histoire en classe, en l’occurrence celle de son grand-père. Ce que l’on comprend pleinement lorsqu’elle écoute ce qu’il lui a véritablement dit, le soir avec ses écouteurs, dans son lit.
En mettant en scène sa propre vie, Sayed Kashua nous livre une dramédie qui fait rire autant que réfléchir, et qui propose un point de vu de l’intérieur de la situation israëlo-palestinienne. Il se dit en coulisse que des discussions sont engagées avec des chaînes française pour une diffusion, on ne peut qu’espérer qu’elles aboutissent, car on a vraiment envie de voir la suite !
7,5/10