Le nouveau film de Guillermo Del Toro Crimson Peak fait beaucoup parler de lui à cause des avis très opposés. Pour certains, il est insipide et d’un vide scénaristique. Pour d’autres, c’est une grande réussite et c’est le cas de notre rédactrice qui a vu un hommage au mélodrame.
Synopsis : Au début du siècle dernier, Edith Cushing, une jeune romancière en herbe, vit avec son père Carter Cushing à Buffalo, dans l’État de New York. La jeune femme est hantée, au sens propre, par la mort de sa mère. Elle possède le don de communiquer avec les âmes des défunts et reçoit un étrange message de l’au-delà : « Prends garde à Crimson Peak ». Une marginale dans la bonne société de la ville de par sa fâcheuse « imagination », Edith est tiraillée entre deux prétendants: son ami d’enfance et le docteur Alan McMichael.
Comme une valse qui tourne en rond, une boucle qui se boucle, le sujet ne fait que revenir à son point de départ, le passé. Après une ouverture pleine de promesse, le visage pâle de l’héroïne (Mia Wasikowska) sur un fond enneigé, levant une main ensanglanté à ses yeux, on propulse le spectateur dans la chambre sombre d’une petite fille, hantée par le fantôme de sa mère. Rien d’étonnant donc ce que cette même petite fille, Edith Cushing, devienne écrivaine de roman gothique. Par ce début aussi mystérieux qu’aguichant, le réalisateur nous embarque dans l’histoire d’un souvenir, celui de l’héroïne dont la vie va prendre un tournant périlleux après son mariage à un jeune nobliau anglais, Thomas Sharp (Tom Hiddleston), propriétaire d’une demeure isolée s’élevant sur une terre argileuse cramoisie, à deux doigt de la ruine. Le passé est ici ce qui surgit sans prévenir, qui s’accroche à un lieu, une émotion, un être aimé, ce qui nous hante aussi loin que l’on aille.
Très proche du dernier film de Kenneth Branagh (Cendrillon) dans sa volonté de synthèse d’une histoire populaire et du style classique hollywoodien, le réalisateur mexicain ne cache pas son jeu. Peut-être est-ce, d’ailleurs, cette honnêteté, cette habileté candide que certains lui reprocheront. Les fantômes de la demeure familiale des Sharp sont certes effrayants mais ils ne sont pas là pour faire fuir hors de leur maison les envahisseurs. Ils parlent, préviennent l’héroïne du mal qui la guette. Cela pourra paraître comme un faux pas, il n’empêche qu’une originalité en découle. Nos poils se hérissent et notre pouls s’accélère justement parce que l’on attend qu’une chose effrayante arrive et nous fasse sursauter. Le suspense est toujours présent, les fantômes sont toujours aussi inquiétants par leurs corps squelettiques et ensanglantés. Le tout enrobé des accords agressifs de la musique et des brusques travelings avant. Rien à voir avec les slashers movies des années 1970 et pourtant on ne peut s’empêcher à travers les flots de sang et le goût pour les armes blanches une certaine proximité avec le genre. Mia Wasikowska ressemblant davantage à la fin à une Carry qu’à une belle demoiselle en détresse. Il n’y aura rien à reprocher alors au spectateur jubilant devant cette jeune badass défonçant la tête de sa belle-sœur à coup de pelles.
Loin d’être sans scénario comme la plupart le prétendent, ce film est un mélodrame dans la plus pure définition du genre, un drame, une histoire d’amour, de la musique orchestrale traduisant les émotions des personnages. L’univers sombre d’une vieille Angleterre, tout droit sortie des livres de Dickens, s’impose dès le deuxième chapitre du film. Crimson Peak appartient à cette tradition des films romantiques aux décors somptueux qui prennent source dans les contes et les légendes. Ce qui l’emplit de beauté est peut-être justement cette recherche du sublime. Entre de beaux acteurs aux visages fins et diaphanes, la poésie des dialogues, l’idée d’une mise en scène derrière chaque plan, Del Toro arrive à nous envoûter avec ce monde à demi-rêvé. Comme l’héroïne, le spectateur est amené à faire un voyage, non pas entre les Etats-Unis et l’Angleterre mais entre différents genres.
Cette œuvre devient alors hybride, un conte horrifique, un mélodrame aux tendances de slasher. Dérangeant peut-être, mais curieux et fascinant certainement. Guillermo Del Toro est ici proche d’une perfection dans sa mise en scène, autant au niveau de la forme par ce choix d’une magnificence aussi poétique qu’effrayante, que du fond en dépoussiérant de vieilles références : Dracula, Barbe bleue, Conan Doyle et Hitchcock. Entre frissons d’angoisse et émerveillement, certainement l’une des œuvres les plus achevées du réalisateur.
9/10
Critique rédigée par A. Matz
Sortie en France : 14 octobre 2015
Réalisateur : Guillermo Del Toro
Acteurs : Mia Wasikowska, Jessica Chastain, Tom Hiddleston, Charlie Hunnam
Genre : Horreur, romance
Nationalité : US
Distributeur : Universal Pictures Internation France