Un procédé de création hyper original pour une série qui n’en annonce pas moins, Innermost nous plonge au cœur de la vie israélienne à Tel Aviv, avec des acteurs non professionnels. Ces derniers vont nous conter le quotidien d’un policier, d’une autrice et professeure d’art, d’un aspirant musicien, et de leurs entourages. Ce récit joue sur la frontière entre fiction et réalité, encore plus qu’on ne l’imagine, et était présenté dans le panorama international du Festival Séries Mania 2023.

Synopsis : A Tel Aviv, le quotidien d’un policier de la brigade anti-moeurs, d’une autrice à succès également professeure d’art et d’un aspirant musicien très talentueux.
On ne peut parler d’Innermost sans préciser son procédé de création. En effet une caractéristique de son créateur, Yaron Shani, est de créer des fresques humaines ultra réalistes, pendant cinématographiques (sa trilogie de l’amour dont est issue la série) et sérielles (Innermost) du naturalisme d’Émile Zola. Pour ce faire, les différentes scènes ne s’appuient sur aucun texte, tout est de la pure improvisation. Mais derrière cette apparente absence d’écriture, un énorme travail de fond… et de forme. Pour le résumer de manière très courte, le process d’écriture est bien présent et s’étale en quatre temps. Yaron Shani pose sur le papier son idée. Puis il fait son casting avec des personnes qui ne sont pas acteurs. Ils discutent très longuement avec eux (sur plusieurs semaines) de leurs personnages, pour qu’ils s’en imprègnent. Suit alors une première réécriture. Ensuite a lieu le tournage, qui prend le temps qu’il faut pour des scènes aux dialogues totalement improvisés. La première saison (6x45mn), c’est… 380h de rush. Hallucinant. Sur le tournage a lieu une deuxième réécriture en fonction de ce qu’il advient. Puis l’écriture est finalisée à la fin du tournage. Du coup Innermost, c’est un an de préparation, et un an de tournage ! Mais pour quel rendu à l’écran ?
L’avantage d’un texte improvisé quand les acteurs connaissent parfaitement leur personnage, et que les émotions sont plus faciles à jouer puisque correspondent parfaitement à ce qu’exprime le comédien. Laliv Siman (Alice Turgeman dans la série) nous a d’ailleurs confié que pour des auditions ultérieures, elle a du se former, puisqu’elle n’arrivait pas à jouer un texte qui n’était pas d’elle. Du coup, le côté non professionnel ne dérange absolument pas ici ; d’autant plus que la série est même filmée un peu à la manière d’un documentaire par moment. Le travail en amont a tellement porté ses fruits qu’à aucun moment on se dit que la scène est entièrement improvisée. De ce côté là, c’est parfait.
Du côté de l’histoire elle-même, je serai plus nuancé. On suit Rafi Malka (Eran Naim), un policier de la brigade des mœurs qui se retrouve lui-même après une intervention borderline sous le coup d’une enquête de la police des polices. Le comédien est un ancien policier, et pour son interrogatoire, ce sont deux professionnels dans la vraie vie qui ont été castés pour ce faire. Il a duré 5h pendant le tournage, pour une dizaine de minutes à l’écran. La seconde histoire suit Alice Turgeman (Laliv Siman) dont on comprend qu’un violeur l’a agressée et que ce dernier est toujours recherché par la police. Le dernier personnage (Bar Gottfried) est un musicien très talentueux qui veut tout faire pour être embauché en tant que tel pour son service militaire afin de pouvoir continuer à travailler sa guitare.
Si les thèmes abordés passent du local (comment concilier musique et service militaire, le rapport des israéliens au sexe,…) à l’universel (les représentations et perceptions du corps féminin) et traitent de sujets d’actualité, ils mériteraient d’être approfondis par moment – tout du moins dans ces deux premiers épisodes présentés à Séries Mania. On a parfois l’impression en passant d’une scène à l’autre d’un manque de contexte, ou de dialogues réalistes mais moins percutants que s’ils avaient été pensés. On suit les personnages avec plaisir mais avec une certaines distance également. C’est là peut-être les limites du non-écrit.
Innermost a un procédé créatif hyper original et mérite rien que pour cela le détour. Les « non-acteurs » sont parfaitement dans leurs rôles et convaincants, l’histoire propose des réflexions sur la procréation, le service militaire, la maltraitance des enfants, ce qu’est être une femme aujourd’hui… Il manque juste une écriture et un montage plus convaincant, pour s’immerger encore plus dans la vie des trois protagonistes, et pouvoir approfondir un peu plus les sujets abordés. Car en calquant au plus proche le réel, Yaron Shani en fait ressortir également ses travers, à savoir un manque de recul sur les situations données ou des dialogues plus travaillés permettant d’augmenter leurs portées.
6,5/10