Spectacles

[Théâtre] La Délicatesse : de la beauté d’être humain

13 ans après le roman, 10 ans après le film et 7 après la bande dessinée, La Délicatesse se dévoile sous la forme d’une pièce au théâtre de l’Œuvre. Une des particularité de David Foenkinos, l’auteur originel, réside dans sa capacité à réunir les réflexions et les actions des personnages dans une même temporalité, en faisant paraître le tout parfaitement normal pour le lecteur. Les dialogues directs ne sont pas forcément légions dans ses livres, une place étant laissée à un narrateur, dont les interventions, plus ou moins pertinentes concernant l’histoire, sont toujours bien senties. L’adaptation au théâtre ne semble dès lors pas évidente. C’est pourtant ce qu’a fait Thierry Surace, qui l’a également mis en scène.

Sélène Assaf et Jean Franco dans « La Délicatesse » au théâtre de l’Œuvre.

Synopsis : Après une rencontre impromptue, François et Nathalie ne se quitte plus. Jusqu’au jour tragique où, renversé par une voiture, François quitte ce monde. Nathalie doit alors faire son deuil et se reconstruire.

A la lecture du synopsis, vous vous dites dans le meilleur des cas « Il faut être dans le bon état d’esprit pour aller voir une telle pièce », ou alors « que si vous allez au théâtre, ce n’est pas pour des sujets lourds ». Et vous n’auriez on ne peut plus tort. Car s’il y a des moments tristes, ils ne représentent qu’une infime partie de la pièce. Tout le reste, ce sont des personnages remplis d’humanité qui vont se côtoyer, avec des sentiments purs, et dont se dégage un optimisme bienvenu dans une période où on en a vraiment besoin. Mais revenons à l’œuvre.

David Foenkinos a un style d’écriture très original. Il possède cette capacité rare de pouvoir transformer une scène d’une extrême banalité, en un voyage poétique. Ses livres traitent d’ailleurs tous de personnages lambda, sans qualité extraordinaire, qui font un métier comme tout le monde, vivent une vie comme tout le monde… mais qui n’est pas du tout contée comme tout le monde. Il a le talent de s’approprier notre société pour en faire ressortir le meilleur. Ses personnages sont d’une humanité désarmante, mais jamais naïve. Sous leur apparente simplicité, ils possèdent en réalité une complexité qui les rend vrais. Ils ont donc tous une vraie personnalité, de vrais questionnements, de vraies aspirations. Il arrive également à joindre ce qui tient au personnel (« C’est comme un tableau de Magritte », « la discrétion d’une femme suisse »…) et qui n’engage que le personnage, à l’universel (les hommes font …, les femmes sont…) sans jamais devoir le préciser.

Mais que cache le dossier 114 présenté par Markus (Jean Franco) à Nathalie (Sélène Assaf) ? La Délicatesse au Théâtre de l’Œuvre

Dans la pièce, très rapidement, on retrouve le style si particulier du livre dans la bouche des comédiens, ce qui rassure vite. D’autant plus que le style, littéraire, même dans les dialogues, ne se prête pas de prime abord à la réalité d’échanges ou de conversations. Il faut là reconnaître un des talents des comédiens, et non des moindres, dans cette réussite à le rendre normal. La mise en scène de Thierry Surace retranscrit aussi très bien les ellipses du roman, ainsi que la simultanéité des intéractions entre les protagonistes, qui disent leurs pensées, tout en échangeant entre eux. Il a choisi de personnaliser le narrateur, joué par Jérôme Schoof, qui l’incarne à la perfection. Une perfection qui se retrouve dans le jeu de Jean Franco (François, Charles, Markus) et Sélène Assaf (Nathalie) qui transmettent une empathie, une humanité, une candeur, qui nous font croire à des situations qui auraient tourné au ridicule dans nombre d’autres pièces. Un sourire forcé devenant véritable et sincère en quelques secondes de Sélène Assaf, une détermination devenant timidité extrême de Jean Franco incarnant Markus ou le détachement empreint parfois d’une pointe d’irrévérance réjouissant de Jérôme Schoof ne sont que des fragments de leurs talents sur la pièce toute entière.Si on est emporté dans ce voyage, c’est autant par la mise en scène que par leurs jeux.

On retrouve donc dans la pièce toute la qualité du roman. On s’identifie dans certains traits des personnages, on est emporté par leur humanité, par l’optimisme qui ressort de leurs intéractions, par leur force de caractère. On comprend leurs doutes, leurs interrogations. Tout est juste, jusqu’à la fin. Pas de fin extraordinaire, de deus ex machina sorti(s) de nul part pour surprendre. Elle n’a pas besoin de cela, elle est intrinsèquement simple, comme les protagnisres, et belle. On notera juste la mise en scène du tout dernier passage qui peut interroger quand on connaît le livre.

Thierry Surace réussit le tour de force d’adapter un roman pas forcément fait pour le théatre en en respectant le style, l’essence et la portée. La mise en scène, très travaillée, joue d’une chorégraphie précise entre les personnages (et le narrateur), et de l’arrivé et du départ d’objets annonçant discrètement ce qui va suivre. On rit beaucoup, on est aussi ému, mais surtout on croit dans ces personnages magnifiquement interprétés par Jean Franco, Sélène Assaf et Jérôme Schoof qui nous transportent dans un monde si proche du nôtre, mais qui paraît si loin. D’un sujet dur, David Foenkinos, et par extension Thierry Surace tire une ode à l’optimisme, dans laquelle les comédiens nous emportent, et de laquelle on ressort avec la furieuse envie d’y croire et un grand sourire qui peine à s’effacer.

10/10

« La Délicatesse » de David Foenkinos adaptée par Thierry Surace avec Jean Franco, Sélène Assaf (en alternance avec Clara Joly) et Jérôme Schoof au Théâtre de l’Œuvre du jeudi au dimanche jusqu’au 30 avril 2023.

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