La fin de Mad Men libère visiblement pas mal de temps pour son créateur, le désormais célèbre Matthew Weiner qui effectue son retour à Séries Mania deux ans après un premier passage, pour y intervenir lors de deux séances. La première, qui nous intéresse ici, est dédiée à l’analyse d’un épisode de la série… ce qui est au final surtout un prétexte pour que Weiner parle de la fabrication de Mad Men et de son processus créatif.
A en juger par la longueur de ses réponses, l’audience n’a pas manqué d’informations là-dessus… surtout que le bonhomme est loin d’être prolixe. Je veux bien croire d’ailleurs que ne plus disposer de la fenêtre d’expression majeure qu’a été Mad Men va certainement lui manquer. En attendant, il nous dévoile donc quelques clés de la conception de la série et se livre à certaines confidences sur son style d’écriture que j’ai écoutées avec grande attention.
Commentaires de In Care Of (6.13)
In Care Of, l’épisode choisi par Olivier Joyard (Les Inrockuptibles), intervieweur de Matthew Weiner pour la séance, à décortiquer avec ce dernier, marque la fin de la saison 6 (que je n’avais pas encore vue mais tout à fait possible d’apprécier malgré tout, indépendamment de toute connaissance préalable de la trame et des enjeux de la saison… parce que, quoiqu’en pense Weiner, les spoilers n’ont pas tant de prise sur la qualité de sa série quand tout fonctionne. Mais si vous êtes des Weiners dans l’âme – enfin, weiner, vous me comprenez – je vous déconseillerais fortement de lire ce qui va suivre si vous n’avez pas vu l’épisode en question, même si je vais tenter d’être spoiler light… mais on n’a pas tous la même conception du light, à vous de voir). L’épisode a été écrit en collaboration avec Carly Ray qui, fait notable, effectuait sa première année en tant que writer’s assistant et bénéficiait là d’une opportunité exceptionnelle, grâce à sa maîtrise d’écriture sur les thématiques religieuses, pas mal présentes dans ce final.
Il constitue, de plus, un point décisif dans la narration de la série, bouclant des arcs d’évolution des personnages définis pour la saison et préparant le terrain pour la saison suivante – bref, le job habituel d’un season finale, je ne vous apprends rien. La particularité supplémentaire d’In Care Of est qu’il se situe à l’orée de la saison finale de la série et qu’il lui incombe, par conséquent, de commencer à établir des enjeux d’envergure à la hauteur de cette dimension finale. Matthew Weiner précise ainsi que le scénario de l’épisode était prévu bien à l’avance, dès le début de saison. Ce qui est rassurant, vous me direz, et pas si étonnant de sa part. La décision explicite d’avoir Don viré au sortir de la saison est en revanche venue plus tard, puisque dans l’épisode le doute peut encore planer sur sa situation, les personnages parlant surtout de temps de repos.
Les développements autour de Don occupent par ailleurs – oh comme c’est étonnant – un bonne partie de l’’épisode. L’objectif évoqué par Weiner était de s’attarder sur ses origines et son enfance (comme cela arrive souvent dans la série) et plus spécifiquement ici sur ses traumatismes d’orphelin et de vie au sein d’une maison close qui déterminent toujours son comportement des années plus tard. Toute cette backstory permet de conférer d’autant plus d’impact à ses propos lors de la scène cruciale de son pitch à Hershey, célèbre marque de chocolat cliente de l’agence (et Weiner s’amuse d’ailleurs à souligner la différence de conception de la nature des confiseries de la marque entre la France et les US… comprenne qui pourra). Ce pitch se divise ainsi en deux, avec une première partie sur l’argumentation et le storytelling typique de bon publicitaire de Don puis le discours de vérité de Don, suite à sa prise de conscience, cet énième jeu d’illusion s’avérant celui de trop et agissant comme déclencheur pour enfin se faire face à lui même. Il s’inscrit aussi dans l’idée que l’épisode marque un progrès pour Don, qui commence à reconnaître ses problèmes, comme celui de l’alcool (sans blague).
Toute la séquence avec Hershey est ainsi d’une valeur capitale pour la série et représentait aussi un défi technique lors de sa réalisation selon les dires de Weiner. Le tournage avait en effet lieu alors que Jon Hamm souffrait de certains soucis de voix, suite à une opération de la gorge à cette époque… mais il importait qu’il puisse délivrer les répliques de Don avec toute la prestance et l’expressivité de circonstance. Weiner explique que, de ce fait, l’équipe s’est évertuée à le préserver, particulièrement pour cette scène avec du temps de repos. Les variations de voix de Jon Hamm, plus grave, légèrement éraillée, sont néanmoins inévitablement notables tout au long de l’épisode… mais elles ont au final permis au pitch à Hershey d’avoir une certaine résonnance et de gagner en gravité, d’après Weiner. Outre ces petites problématiques humaines, en terme de réalisation, la séquence représentait aussi énormément de travail, Weiner parlant des scènes dans la conference room comme les plus difficiles à tourner pour saisir les réactions de tous les personnages et l’intention du scénario.
Matthhew Weiner justifie, enfin, d’avoir porté son choix de chanson de end credits sur Both Sides Now de Judy Collins en raison de son aspect très « sappy », selon ses propres mots. En effet plutôt réjouissante à l’oreille elle est également chargée d’un esprit très mélancolique. Cette dualité de ton faisait, d’après Weiner, parfaitement écho à l’état émotionnel de Don à la fin de l’épisode, entre tristesse et optimisme, avec son choix de révélation de son passé à ses enfants, face à la maison close de sa jeunesse.
Weiner et la réalisation
Au fil de la rencontre, Matthew Weiner s’est aussi laissé aller à diverses réflexions sur l’art de la réalisation, auquel il s’est essayé lui-même pour l’épisode visionné. Première précision d’importance qu’il apporte sur la série en générale, il ne travaille pas spécialement de manière symbolique, contrairement à ce que pourraient penser des nombreux fans scrutant et analysant ses plans comme des œuvres d’art. En revanche, ils peuvent tout à fait y déceler des références cinématographiques, Weiner admettant reprendre des éléments de réalisation de grands réalisateurs, par exemple, Wong Kar-wai. Il s’amuse d’ailleurs à se dire que certains fidèles auraient un choc en découvrant que Mad Men n’est qu’une usurpation de nombreux grands noms (que devraient penser les spectateurs de Wayward Pines alors ?). Mais en dehors de cette matière d’inspiration, Mad Men peut aussi compter sur une équipe de réalisation que Weiner crédite comme une des meilleures, capable de vraies prouesses techniques.
Sur le plan de la direction des acteurs, Matthew Weiner dit régulièrement recourir aux dessins pour communiquer à son équipe et au casting ses intentions créatives pour certaines scènes. Par ailleurs, en réaction à une question sur la possibilité d’improvisation des acteurs, on ne s’étonnera pas de le voir répondre « Mais pourquoi improviseraient-ils ? ». Il mentionne d’ailleurs à ce propos l’anecdote d’une divergence avec John Slattery sur une réplique que ce dernier ne voulait pas prononcer car trop compliquée à énoncer. Weiner n’a toutefois pas plié et dès lors, Slattery n’a plus jamais objecté à une seule réplique, Weiner et les auteurs s’amusant d’ailleurs à lui attribuer certaines lignes toujours plus difficiles à prononcer. En bref, Mad Men avait dès lors sa propre version du Dédéfi de la Nouvelle Star.
Matthew Weiner souligne, d’autre part, la valeur de l’éclairage dans la réalisation de Mad Men. Il s’établit en lien avec le scénario et l’heure et le climat deviennent ainsi des outils narratifs de poids sur la réalisation, souvent utilisés pour établir le ton du récit à travers l’éclairage qu’ils impliquent. Puis il y a le montage qui est également déterminant pour Weiner dans la construction du récit de Mad Men, les monteurs étant sensibilisés à travailler selon un angle psychologique pour servir les personnages et dans la perspective de maîtriser le rythme d’un épisode au mieux.
L’écriture de Mad Men
La discussion a également conduit à évoquer plus largement le processus d’écriture de Matthew Weiner sur Mad Men. L’auteur a notamment décrit le mode de conception particulier des dialogues dans la writer’s room qui le voit entrer dans une sorte de transe où il prononces les mots qu’il voudrait entendre chez ses personnages. Il souligne aussi l’importance de la grammaire et du phrasé dans la série et explique qu’ils font régulièrement l’objet de débat entre les auteurs. Par ailleurs, d’après Weiner, les meilleures répliques contiennent toujours une « teinte de boutade » en elles. Pour ce qu’il en est de l’humour à proprement parler, il pense que la magie du rire de l’audience vient essentiellement de l’instinct de celui ou celle qui sait le provoquer et ne peut être rationnalisée. Il n’y a pas de recette, de rythme clé de la comédie selon Weiner.
En matière de travail sur le scénario, il déclare détester particulièrement le processus d’exposition qu’il tend donc à limiter au strict nécessaire, en tentant de faire confiance au public pour qu’il retienne tous les détails et les caractéristiques qui comptent – en même temps avec le public cible qu’il a, il devrait rarement se faire du souci pour ça. Reste que Weiner se préoccupe toujours de ne pas avoir rendu certains éléments assez clairs, car il tient à être efficace dans ses expositions afin d’en faire le moins possible. Ce petit souci d’économie de scénario ne l’empêche pas, néanmoins, de produire des scénarios plus long que le format final de 42 minutes. L’une des parties les plus dures de son travail est alors de faire rentrer le script dans ce cadre avec beaucoup de sacrifices. Heureusement pour lui, le final a été rallongé par AMC et lui a permis de ne plus avoir à se tracasser avec cela. M’enfin, c’était un peu la moindre des choses quand on entend que la décision de la division de l’ultime saison par la chaîne s’est * un peu * imposée à lui alors qu’il n’en voulait pas.
Un principe qui guide notamment Weiner dans la démarche de développement du scénario consiste à cherche à ce qu’un personnage ne soit jamais dans deux scènes consécutives. Cela permet par conséquent de mieux véhiculer l’impression du temps qui passe. D’autre part, Matthew Weiner n’aime pas faire pleurer ses personnages trop souvent, expliquant qu’à répétition, leur crédibilité s’en trouve minée et ils n’en ressortent que plus artificiels. Et là on se dit qu’un café avec Weiner ferait le plus grand bien à Shonda Rhimes.
Il s’attarde enfin plus spécialement sur la notion d’entertainment en séries et de ce qu’elle implique pour de bons scénaristes. Plus que de simplement captiver l’attention, l’entertainement c’est stimuler son audience et pour cela s’en tenir indéfiniment à des mêmes réflexes de narration n’est pas la bonne stratégie. Les auteurs doivent donc viser à générer de la confusion et de la réflexion chez les spectateurs, quitte à ce qu’ils se sentent un peu perdus parfois, pour les maintenir investis. Ils recourent aussi à des modifications régulières de structure et des variations dans le rythme tout en s’engagent au changement dans la narration. Bref, le changement c’est toujours maintenant dans Mad Men. En outre, Matthew Weiner ajoute, en parlant de Don, qu’il n’est pas tout à faire en concordance avec la théorie de l’anti-héros en série. Du moins, Weiner ne le conçoit pas tant comme tel que comme Don Draper, un homme des 60s tel qu’il est, ni bon, ni mauvais mais juste lui.
Bonjour,
Merci pour cet article ! Je voulais assister à la séance, mais n’étant pas très avancée dans le visionnage de Mad Men, j’ai renoncé…
« l’épisode marque un progrès pour Don, qui commence à reconnaître ses problèmes, comme celui de l’alcool (sans blague) » –> ce problème doit concerner pas mal de personnages, non^^ ?
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