Réalisée par le très à la mode Cary Fukunaga (True Detective), Maniac vous invite à vous plonger dans les délires d’Emma Stone et Jonah Hill pendant qu’ils suivent un nouveau traitement pharmaceutique douteux. Cette mini-série Netflix de 10 épisodes est l’événement de la rentrée sur la plateforme. Coup de génie ou coup de folie ?

Maniac – Netflix – 2018
Pour cette rentrée 2018, Netflix se la joue prestige avec Maniac. Elle se distingue de ses autres productions originales premièrement par son statut de « mini-série » et deuxièmement par les grands noms issus du cinéma qu’elle réunit. Ça donnerait presque envie de dire qu’il s’agit au fond surtout « d’un film de 10h », au risque de faire grincer des dents n’importe quel sériephile puriste. Toujours est-il que le récit de Maniac se découpe bien en épisodes, reprend des mécaniques narratives propres à la télévision et surtout, qu’elle est vendue comme une série par son principal diffuseur. C’est ce qui importe au final, mais vous appelez bien ce que vous regardez comme ça vous fait plaisir. Après, bien sûr, les producteurs de Game of Thrones ou Westworld peuvent bien tergiverser sur à quel point ils sont fiers de proposer des saisons qui sont « comme des films de X heures », cela reste du vain blabla promotionnel pour meubler le vide. Qu’ils aillent monter leurs créations en mettant tous les épisodes bout à bout et en les projetant dans les salles. Je ne suis pas sûr que le succès soit le même. Pour ce qui est de Maniac, je n’ai pas de déclaration de Cary Fukunaga et Patrick Somerville sous la main, mais Netflix la décrit comme une série, ce qui règle la question.

Maniac – Netflix – 2018
Bon c’est pas non plus comme si on croulait sous les questions, justement, devant Maniac. Non, c’est vrai, bien que la série tente gentiment de brouiller les pistes entre réel et irréel, à l’aide des troubles mentaux d’Owen et du décor d’un New York rétro-futuriste, au bout du compte, ce qu’elle nous raconte est assez simple. Owen et Annie sont deux individus psychologiquement fragiles qui rejoignent un essai pharmaceutique qui déraille. Point. Le pitch est posé. On a beau ensuite passer par une succession de séquences délirantes et fantaisistes lorsque Owen et Annie sont sous l’effet des pilules de Neberdine Pharmaceutical and Biotech, il s’agit surtout d’une étude de personnages qui s’effectue.
L’enchaînement des différentes hallucinations d’Owen et Annie, dans lesquelles il et elle jouent à chaque fois de nouveaux rôles dans des univers multiples et variés, offre une belle expérience onirique, pour peu qu’on soit assez sensible aux idées décalées et aux situations absurdes. L’avantage de ce programme de drogues qu’ont à suivre les deux héros, c’est qu’il permet justement une variété d’hallucinations qui entretient un rythme dans la série et une curiosité pour le prochain délire, si l’on finit par se lasser par l’un d’entre eux.

Maniac – Netflix – 2018
Les séquences rêvées d’Owen et Annie sont aussi l’opportunité pour rendre hommage à divers genres et époques cinématographiques, de la comédie 80s, à la fantasy en passant par les films mafieux. Clairement, toutes ne sont pas aussi captivantes ou amusantes les unes que les autres, mais il y a un certain choix. Et il n’y a pas à dire, c’est visuellement léché, particulièrement la magnifique séquence chez les prestidigitateurs des années 40. On s’immerge facilement dans chaque univers, guidé par les solides prestations d’Emma Stone (Easy A, Crazy Stupid Love, La La Land) et Jonah Hill (Supergrave, 21 Jump Street, The Wolf of Wall Street). Ceux-ci se glissent dans chaque rôle avec naturel mais généralement sans nous faire oublier que ce sont Owen et Annie, avec leurs troubles et traumatismes qui se cachent derrière ces masques. Le tout servira de génial portfolio de luxe à Cary Fukunaga pour ses prochaines candidatures en tant que réalisateur, je n’en doute pas. Maniac était sûrement sa pièce jointe avec son CV lorsqu’il a postulé pour devenir le réal du prochain James Bond. Merci Netflix, mieux qu’un assistant Pôle Emploi !

Maniac – Netflix – 2018
Maintenant, je ne peux m’empêcher de me dire que pour une série sur les troubles mentaux et les expérimentations scientifiques, tout ça manquait tout de même un peu de folie. Alors bien sûr, nombre des aventures et des comportements d’Owen et Annie sont farfelues au possible, et la galerie de scientifiques de Neberdine Pharmaceutical and Biotech est gentiment décalée. Justin Théroux et Sally Field se donnent d’ailleurs à cœur joie de faire de la relation toxique du Dr Mantleray, à la tête de l’essai pharmaceutique, et de Gertie sa mère psychiatre, un duo pathético-comique assez savoureux. Mention spéciale aussi à Sonoya Mizuno en Azumi, l’assistante du Dr Mantleray, géniale de classe et de flegme.
Mais on est loin de l’ésotérisme de certains épisodes de The Leftovers, bien que plusieurs auteurs de la série, ainsi que Patrick Somerville, le showrunner, lui-même, y ont fait leurs armes. Le réel et l’irréel sont finalement assez faciles à distinguer et peu de choses sont ouvertes à interprétation. Le symbolisme des éléments fantasques qui peuplent les hallucinations d’Owen et Annie semble aussi plus appuyé. Les spectateurs sont en quelques sorte beaucoup plus pris par la main, sans être pris totalement pour des demeurés. Je m’étais attendu aussi à quelque chose de plus désarçonnant dans la réalisation, digne de Legion, une autre série qui évoque la maladie mentale, qui a notamment proposé des épisodes sans son, en noir et blanc ou s’amusant avec temporalités et points de vue. Au final, il semble qu’il y avait peu de place pour l’expérimentation chez Fukunaga.

Maniac – Netflix – 2018
L’exploration de la psyché des deux héros n’en est pas moins minutieuse. Dans les deux cas, l’essentiel des tourments et fêlures trouvent leur origine dans leurs relations à leurs familles. C’est ainsi celles-ci qui servent de terreau aux réalités hallucinées par Owen et Annie. Ces aventures imaginaires nous aident alors à mieux les comprendre et eux-mêmes, à mieux se comprendre, malgré leurs réticences et malgré les dysfonctionnements du traitement de Neberdine Pharmaceutical and Biotech. Les interférences de GRTA, l’intelligence artificielle basée sur Gertie et chargée de superviser les rêves des sujets de l’essai, viennent aussi dynamiser et créer des enjeux supplémentaires dans ces séquences. Tout ça vire finalement peu au pastiche de 2001, l’Odyssée de l’Espace, mais avec plus de dérision. Et on ne boudera pas son plaisir de voir l’excellente Sally Field alterner sophistication, machiavélisme et crise de nerfs.
Il y a quoi qu’il en soit une certaine inégalité dans l’intérêt des différents rêves d’Owen et Annie. Les moments où la série réussit à dégager le plus de peps et d’émotion sont pour moi ceux où Owen et Annie sont réunis ; qu’ils se soutiennent l’un l’autre, collaborent ou s’affrontent. Emma Stone et Jonah Hill font preuve d’une jolie alchimie et semblent vraiment s’amuser comme deux gamins, compagnons de jeux, perdus dans leurs mondes imaginaires. Leur enthousiasme est communicatif et donne vraiment à comprendre comment la rencontre inattendue de leurs personnages permet une échappatoire, si ce n’est un remède, à leurs maux. Le pouvoir de la connexion humaine sur les troubles mentaux, c’est un message peut-être un peu simpliste, peut-être un peu mièvre que la série semble vouloir délivrer à travers leur relation. Mais c’est une forme d’optimisme à laquelle j’ai envie de croire.
En bref, Maniac n’est ni géniale, ni trop folle mais elle est au moins loin d’une expérience déprimante en cellule capitonnée. Elle offre surtout un chouette terrain de jeu à Cary Fukunaga, Emma Stone et Jonah Hill. J’aurais aimé les voir s’affranchir un peu plus de certaines règles de jeux mais je ne me suis définitivement pas ennuyé. Le fait qu’il s’agisse d’une mini-série avec une fin fermée et prédéterminée resserre le focus de la narration qui ne souffre dans l’ensemble pas trop de problèmes de rythme ou d’errances. La folie est quelque part maîtrisée, un peu trop maîtrisée au final… mais la série touche aussi par son récit tragi-comique de trajectoires d’âmes brisées qui tentent de se réparer, guidées par un progrès scientifique qui finit toutefois par dépasser l’homme. Et dans le chaos de la vie, le croisement de ces trajectoires, c’est un peu ce qui permet de retrouver du sens.
7/10