C’est lors du Festival Séries Mania Lille Haut-De-France 2018, que nous avons pu rencontrer Jesse Armstrong, le créateur de la série Succession, présentée en avant-première mondiale lors de l’ouverture du festival. La série est disponible en France dès le 4 juin en US+24 sur OCS City.
Quel a été le plus grand challenge pour créer cette histoire ? Vous avez écrit des comédies, était ce plus complexe de se lancer dans l’écriture d’une série dramatique ?
Jesse Armstrong : Oui, ça l’était. J’ai écrit pour la télévision, le plus souvent du format 30 minutes. J’ai aussi un peu travaillé sur Black Mirror dont les épisodes font une heure. Écrire 10 heures de fiction était beaucoup plus effrayant. J’ai d’abord écrit seul le pilote avec l’idée générale de la structure familiale. Une fois que l’on a réalisé le pilote avec HBO, nous avons commencé à mettre en place le système américain avec une writer’s room. Nous avons effectué une nouvelle session de recherche sur de puissantes familles réelles, certaines dans les médias, d’autres non, qui ont vécu ces questions de succession. J’ai pu bénéficier d’un solide groupe de scénaristes, chacun apportait ses idées, ses histoires sur leur propre famille ou sur d’autres qu’ils ont connu. Une fois que vous avez rassemblé tous ces éléments, vous avez de bonnes bases pour construire toute la série.
La succession est un thème universelle. Le monde des affaires peut sembler obscure, mais le public reste familier de la structure des riches familles, les motifs du père puissant, ce sont des thèmes universels et c’est rassurant de travailler à partir de ces idées connues. On a tous entendu des histoires de luttes d’héritage à la mort de quelqu’un, que vous soyez dans une famille millionnaire ou pas. Parfois c’est uniquement une question d’argent et parfois c’est une question d’amour, d’émotions enfouis qui resurgissent. Quand vous avez manqué d’amour ou de reconnaissance d’une personne de son vivant, le moindre objet peut devenir extrêmement important. Les gens finissent par se disputer la moindre chose, ça se finit au tribunal… Quand vous regardez ça de l’extérieur, cela peut paraître dérisoire : c’est une photo ou une tasse à café ou 3000€. Les gens peuvent devenir fous pour si peu, parce qu’ils n’ont pas reçu l’amour qu’il recherchait du défunt de son vivant.
La série porte une idée fédératrice. Nous sommes tous fasciné par l’idée du pouvoir et le moment où intervient une succession est toujours un moment un peu terrifiant. Durant cette transmission, ce passage de relais au sein d’architectures lourdes et complexes sont des choses particulièrement intéressantes à exploiter. Nous devons croire à l’idée que tout s’exécute de façon très contrôlé, très sûr, très réglementé, alors qu’en vérité, tout peut arriver et tout dépend de qui exprime le plus efficacement à cet instant précis son propre pouvoir.
Qu’est ce qui vous intéressait dans ce thème de la succession ?
Jesse Armstrong : J’ai beaucoup écrit sur la politique, notamment dans Veep, et j’aime voir la politique comme une arène où se disputent ceux qui sont intéressés par le pouvoir. J’ai choisi une famille dans le milieu médiatique parce qu’il y a également une question de pouvoir. Si j’avais décidé de placer la série dans d’autres industries, j’aurai peut-être touché plus de monde mais je n’aurai pu faire de cette succession un enjeu aussi important.
Mais il y a aussi une autre idée de succession, celle qui se joue entre anciens et nouveaux médias. On ne sait pas trop comment vont s’équilibrer les forces. Tous ces Citizen Kane, Rupert Murdoch, ces grandes figures des médias, seront-ils toujours capable d’influencer le monde, maintenant que nous voyons l’importances des réseaux sociaux comme Twitter et Facebook ?
Était-il important d’introduire de l’humour dans la série ?
Jesse Armstrong : La comédie est une partie indispensable de la vie. Si vous ne mettez pas de comédie dans votre drame, vous ne montrez pas la vie dans toute sa richesse. Vous paraissez tout de suite trop sérieux ou sur-dramatique. Mais cela vient aussi de la manière dont Adam McKay a réalisé le pilote. Nous voulions portraiturer la luxure et le pouvoir sans le glamouriser. Si vous êtes trop sérieux, trop glamour dans votre façon de présenter cette famille, les spectateurs risquent de ne pas y croire. Il n’y a qu’à voir Trump ! Nos personnages sont aussi ridicules, idiots, c’est ce qui les rend humains. Ils prennent des décisions bêtes, qu’elles soient politiques, professionnelles ou personnelles. Introduire de la comédie rend le portrait plus juste, moins mensonger.
N’y avait-il pas un risque de montrer des personnages difficilement aimables ?
Jesse Armstrong : Oui, je m’interroge sur la façon dont les spectateurs vont réagir et recevoir la série. Oui, ces personnages sont détestables, ils ne soucient de personne, sont imbus d’eux-mêmes… mais au fur et à mesure, vous finissez par les accepter tel qu’ils sont. Ils gardent toujours un aspect détestables mais c’est ce qui les rend humain, finalement. Et je ne suis pas sûr que si j’avais grandi dans leur contexte, avec toute cette richesse disponible, je ne serai pas beaucoup plus différent. Je pense qu’avec le temps, cette impression va diminuer et j’espère que le public va finir par se sentir désolé pour eux. Mais je suis moins inquiet par le risque de voir mes personnages détestés que par celui de savoir si les gens vont aimer la série ou pas.
Quel personnage avez-vous préféré écrire ?
Jesse Armstrong : Vous devez être démocratique dans une writer’s room, je n’ai pas le droit de choisir ou privilégier un personnage plutôt qu’un autre. Marcia est probablement celle qui me fascine le plus. Elle est le personnage le plus mystérieux, celui dont on sait le moins. On finit souvent par débattre sur elle, sur ses motivations. De ce point de vue, elle est un formidable personnage à écrire.
Que pensez-vous de la place des femmes dans cette institution familiale ?
Jesse Armstrong : Shiv est la seule fille de la famille. Elle sent que son père ne la considère pas parce qu’elle est une femme et qu’elle ne pourrait prétendre à la succession. Alors, elle fait sa vie en dehors de la compagnie, elle n’est pas aussi obsédée que ses frères et ça la rend plus forte. Shiv est également très jeune, elle est traitée comme le bébé de la famille et subit les principes sexistes de son père et des hommes de sa génération. Et seulement maintenant, il commence à la voir comme une candidate sérieuse à sa succession.
Pourquoi avoir débuté le pilote par cette scène où l’on découvre Logan dans l’obscurité ?
Jesse Armstrong : Parfois vous savez ce que vous allez écrire et pourquoi ; parfois vous y allez instinctivement. Vous ne rationalisez pas, vous ne vous dites pas « j’écris cela parce que… ». J’ai simplement senti que c’était la meilleure scène pour débuter la série. Si je devais y penser a posteriori, je dirai que c’était une façon de montrer que ce vieux chef de famille qui se croit éternel est en réalité bien mortel et qu’il ne sera pas toujours là. La série parle de ces grands hommes qui ne veulent pas mourir et qui prétendent être immortel en s’attachant à ce qu’ils ont créé et laissé aux futures générations. Un peu à l’image des rois qui ont souvent prétendu à la vie éternelle de cette façon.
Vous savez où vous allez avec cette famille ? Sur combien de saisons voyez-vous durer la série ?
Jesse Armstrong : Au début de la série, j’aurai dit non pour les dix premiers épisodes (rires). Aujourd’hui, j’ai une plutôt bonne idée de ce qui va arriver à cette famille. Je ne sais pas encore sur combien de saisons, j’adorerai écrire encore quelques unes de plus. L’erreur de Logan a été d’imaginer qu’il avait tout organisé, planifié pour sa succession et maintenant, il doit tout changer. Je ne ferai pas la même erreur ! (rires)
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