Alors que la saison 2 de The Handmaid’s Tale est en diffusion chaque jeudi en US+24 sur OCS Max, nous avons pu rencontrer Bruce Miller, le créateur de la série phénomène.
Pour cette seconde saison, vous n’aviez plus de roman sur lequel vous reposer, comment était-ce de travailler sans filet ? Quel a été le rôle de Margaret Atwood dans cette seconde saison ?
Bruce Miller : Nous avons commencé à évoquer la seconde saison avec Margaret Atwood alors que nous étions à la moitié de la première. Nous savions que la fin de la saison correspondrait à la fin du livre, la difficulté résidait dans la façon de nous y rendre. Vous devez réfléchir aux directions que vous prenez pour poser les bases de la deuxième saison. Je ne l’ai pas vécu comme un nouveau départ. C’est toujours l’univers de Margaret Atwood, c’est toujours les mêmes personnages, la même dynamique, le même ton. Quand vous finissez le livre, vous n’avez qu’une envie : avoir une suite. Je n’ai jamais arrêté de penser à un second tome depuis que j’ai lu le roman au lycée. Il y a beaucoup de choses que nous avons souhaité approfondir, beaucoup de choses à explorer. Margaret Atwood a été impliqué dans cette seconde saison depuis le début, elle était présente par moment dans la writer’s room. Elle nous a laissé de solides fondations sur lesquelles bâtir notre histoire.
On découvre la classe ouvrière de cette société, est ce que l’on peut s’attendre à en voir davantage durant la saison ?
Bruce Miller : Nous allons en voir un peu plus, quelques morceaux. J’aimerais que l’on explore davantage cette facette de ce monde, j’aimerais y passer plus de temps, c’est fascinant. Mais il y a une histoire à raconter, qui doit avancer et nous devons trouver l’équilibre entre la narration et l’expérience de la richesse de cette société.
Allons-nous découvrir ce qui arrive aux personnages ayant trouvés refuge au Canada ?
Bruce Miller : Oui, absolument. Il y a une belle résonance avec l’actualité entre les réfugiés de la série et ceux du monde. Je suis fasciné par l’idée d’un exode américain vers le Canada, ce qui se passerait pour le Canada, un pays très ouvert aux réfugiés. Beaucoup des histoires que nous racontons jouent un rôle de procuration pour Offred. Pour les réfugiés, c’est une façon de dire que si Offred s’échappe, tout ne sera pas tout rose pour elle. Ainsi, vous pouvez écrire un futur potentiel sans pour autant faire en sorte qu’elle s’enfuie. Si vous regardez la façon dont Janine supporte ce monde, elle semble avoir perdu la raison et en même temps semble heureuse ; c’est une option pour Offred. Emily, quant à elle, fait face à ce monde en se battant de toutes ses forces quitte à en souffrir, c’est aussi une option pour Offred. Le personnage de Serena a quelques points communs avec Offred : elles sont intelligentes ; l’une est autrice, l’autre travaille chez un éditeur. Je suis fasciné par l’histoire de ces deux personnages. A travers tous ces personnages, nous essayons de montrer les futurs potentiels au même moment.
Cette saison semble plus sombre que la première, n’avez-vous pas peur qu’on vous reproche la violence que vous dénoncez ?
Bruce Miller : Nous n’avons pas sciemment choisi d’être plus sombre, c’est la suite naturelle de l’histoire. Les différents personnages ont brisé beaucoup de règles, de lois et sous la dictature de Gilhead, il y a des conséquences. J’ai une faible tolérance pour la violence à l’écran, ce n’est pas quelque chose que j’apprécie. Nous essayons de montrer uniquement ce qui est nécessaire.
Dans la première saison, il y avait ce personnage qui subit une mutilation génitale. On ne sait pas quand c’est arrivé, on ne sait pas comment cela s’est déroulé, nous n’avons rien montré. On la voit se réveiller avec un pansement, quelqu’un lui parle mais à aucun moment on ne le dit explicitement. Et c’est suffisant pour se rendre compte de l’horreur de cette mutilation. Au début de la seconde saison, il y a cette fausse exécution. Si nous ne l’avions pas montrée, en se contentant de raconter la scène avec un dialogue, cela n’aurait pas eu le même impact. Il fallait que l’on ressente ce qu’elles sont en train d’endurer. C’est horrible mais c’est tout l’intérêt de la séquence que d’être horrible.
C’est un équilibre difficile à obtenir, quelque chose dont on parle à chaque étape de la création. Nous devons montrer Gilhead, un monde où la violence contre les femmes est omniprésente, tout comme leur déshumanisation ou leur réduction à l’esclavagisme sexuel. La nature de la bête, en somme. Enfin ce que vous écrivez peut parfois ne pas sembler si horrible ou violent mais une fois que voyez la scène à l’écran, vous êtes pris aux tripes. Nos acteurs et actrices sont si intenses qu’ils transforment littéralement la scène, comme si elle s’était réellement déroulée. C’est comme filmer à balle réelle, si vous écrivez que c’est horrible, ce sera horrible à l’écran.
Mais je ne pense pas que la saison soit plus sombre que la première. J’ai tendance à penser qu’à la fin de chaque jour, si June est en vie, c’est déjà une immense victoire. Elle a encore plein de choses terribles à traverser.
Comment travaillez-vous avec les acteurs ?
Bruce Miller : J’apprécie surtout de les regarder faire ce qu’ils font de la série. Si je leur demandais leurs points forts, leur réponse diffèrerait de la mienne. Alors j’essaie de jouer sur leurs compétences, tout en m’autorisant d’être surpris et ensuite, d’écrire en conséquence. Vous essayer de les amener là où vous le souhaitez tout en cherchant comment y parvenir avec eux. L’une des choses formidables avec la télévision, elle vous offre la possibilité d’ajuster au fur et à mesure.
Que pouvez-vous nous dire de votre collaboration avec les réalisateurs.ices Mike Barker et Kari Skogland durant cette seconde saison ?
Bruce Miller : Ils sont impressionnants. Nous avons une collaboration très proche. La période de préparation dure 9 jours et durant ce temps, vous essayez de tenir le plus de réunions possibles pour détailler minutieusement tous les détails du script, afin que tout soit clair. La série n’a pas beaucoup de dialogue, vous devez être précis sur ce que vous souhaitez à chaque instant, car vous ne pourrez pas l’atteindre avec les dialogues.
Mike Barker et Kari Skogland sont hyper professionnels, ils ont réalisé beaucoup d’épisodes de séries, sont là depuis le début. Mike était le réalisateur-producteur (et producteur exécutif), il était disponible pour tout le monde durant la première saison. Je pense que notre collaboration s’est approfondie. Cette année est plus facile quelque part, car nous avons des références à montrer, des bases sur lesquelles se reposer.
Quels ont été vos influences (cinéma ou série) pour composer cette saison deux ?
Bruce Miller : Pour moi, comme pour Reed Morano (réalisateur sur la série), on va chercher des bouts de films, pas de références cinématographiques entières. Reed a également été directeur de la photographie, il possède un savoir encyclopédique sur le rendu visuel, sur l’esthétique, ce genre de chose. Nous possédons un langage commun quand il s’agit de voler telle scène de tel film, etc…. Je suis un grand fan de Stanley Kubrick, visuellement surtout. La police de caractère que nous utilisons sur la série est proche de celle de Kubrick pour ses films.
Il y a quelques années, on n’aurait pas considéré la série aussi pertinente et plausible qu’aujourd’hui…
Bruce Miller : J’aimerai que ma série ne soit pas pertinente. C’est même ce que j’espère ! Mais nous sentions, en tant qu’écrivains ou scénaristes, une force émerger. Enfin, c’est surtout Margaret Atwood qui a senti ces forces en mouvement, 35 ans plus tôt. Nous n’avons fait que mettre à jour ce qu’elle avait mis en place. Bâtir sur ses fondations pour nous amener vers notre époque. Nous n’avons rien inventé. Nous n’essayons pas d’atteindre une sorte de déclaration avec la série mais nous ne voulons pas l’ignorer non plus, c’est une question d’équilibre. Dès qu’une œuvre commence à ne plus ressembler à notre monde, elle n’est plus aussi effrayante. C’est effrayant parce que c’est quelque chose qui pourrait arriver.
Est ce que vous pensez avoir une responsabilité de faire The Handmaid’s Tale à l’ére du mouvement #MeToo ?
Bruce Miller : Oui, absolument et spécialement parce que ce mouvement est né de notre propre industrie. Cela rend l’expérience personnelle. Je ne sais pas si cela aurait été pareil si toutes ces histoires seraient parties d’une autre industrie. Vous vous sentez honteux, horrifié par ce que vos amis, des scénaristes, des producteurs, des acteurs, des gens que je connais depuis de nombreuses années, ont traversé, à quoi s’est tenue leur carrière. Vous vous sentez idiot de n’avoir rien remarqué, vous avez le cœur brisé de n’avoir pu être disponible au moment où ils auraient eu besoins de vous. Vous ne pouvez pas ne pas extrapoler toutes ces histoires pour étayer un endroit comme Gilhead.
La série va un peu contre l’idée que l’oppression de cette société patriarcale vient seulement des hommes. Elle tente de montrer que des femmes peuvent aussi être impliquées, qu’elles peuvent incarner des instruments puissants du patriarcat ?
Bruce Miller : Dans son roman, Margaret Atwood insiste bien sur le fait que l’oppression dont sont victimes les femmes peut aussi prendre la forme de d’autres femmes. La façon dont j’ai peint la série insiste moins sur l’idée d’un patriarcat que celle d’un totalitarisme et comment l’oppression s’exprime dans un monde totalitaire. L’une des choses les plus terrifiantes au cœur de la série repose sur le fait que les personnes les plus cruelles contre les femmes, sont des femmes elles-même. Cela apporte aussi du sens sur la façon dont cette société est organisée. Il y a une forme de frustration qu’elles font subir à d’autres femmes. Et c’est davantage un exemple de totalitarisme plutôt qu’une forme spécifique comme le patriarcat.
Quels sont les retours que vous récoltez de façon générale ?
Bruce Miller : La série est parfois critiquée parce que l’un de nos personnages féminins fait quelque chose qu’une femme ne ferait jamais. C’est un reproche qui m’est directement adressé, peu importe si l’idée vient de moi ou d’une scénariste. Inévitablement, c’est quelque chose qui arrive, parce qu’en tant qu’homme, je ne peux savoir écrire du point de vue d’une femme. De façon plus générale, les hommes sont particulièrement cruels avec Serena. Ils souhaitent la mort du personnage avec une rare violence. J’ai été surpris de voir combien les hommes se sentaient également impuissants face au sort réservé à Luke, qui a perdu sa femme et sa fille; les femmes sont plus touchées par Offred et la perte de sa fille.
Avec les réseaux sociaux aujourd’hui, ressentez-vous une pression particulière ?
Bruce Miller : J’écoute ce que les gens ont à dire, j’essaie d’avoir conscience de leur réaction ou de leur avis. Mais si vous vous laissez guider par les fans, vous allez les décevoir. Je garde en tête que c’est l’histoire de June, c’est elle qui dirige les événements… Au début de la saison, elle parvient à s’enfuir, puis elle se fait rattraper. C’est particulièrement déceptif comme issu mais elle est à Gilhead, elle est une servante enceinte, elle allait forcément se faire attraper, elle n’est pas Jason Bourne ! Elle avait peut-être une chance sur un million de s’en sortir mais elle ne l’a pas eu. Nous essayons d’imaginer de façon extrêmement simple le fonctionnement de ce monde. Quelques fois, les fans souhaitent une issue heureuse, un happy end mais vous devez regarder la réalité du monde que vous décrivez et l’histoire que vous souhaitez raconter.
L’issue la plus évidente serait de voir des femmes reprendre le pouvoir…
Bruce Miller : Je n’ai pas encore de fin en tête. A la télévision ou au cinéma, la conclusion la plus évidente est souvent celle choisie au final. Quand Offred parvient à s’échapper, elle est vite rattrapée. Dans les films, le héros ou l’héroïne parvient toujours à s’enfuir. Dans la réalité, les gens se font rattraper ! La fin réelle doit diverger de la conclusion évidente. Nous sommes très consciencieux dans notre approche, sur ce que font les personnages et pourquoi ils le font. Nous cherchons une fin réaliste par rapport au monde que nous avons créé.
Nous savons qu’une troisième saison est déjà commandée, combien de temps la série peut-elle durer ?
Bruce Miller : D’un côté je ne connais pas le nombre exact de saisons, de l’autre, je sais que ce nombre existe. Je ne veux pas étirer la série en longueur. Je déteste quand une série que j’apprécie perd de son intérêt au fil des saisons. Nous prenons chaque saison à la fois. Si je savais exactement où je souhaite aller, alors le public pourrait le deviner. Le public est beaucoup trop malin aujourd’hui pour être capable de le tromper aussi facilement. J’ai seulement besoin de savoir vers quelle issue je souhaite me diriger et j’ai suffisamment confiance de la trouver pour me sentir à l’aise sur la question.
Avez-vous l’intention d’écrire des épisodes spéciaux ? Par exemple un épisode joyeux, une comédie ou un musical ?
Bruce Miller : Je ne suis pas certain que la série se prête à ce genre de choses ! (rires) Ce serait probablement très drôle… L’année dernière, l’équipe a envoyé une carte de vœux à noël. Ils étaient tous habillés comme les Waterford, devant un feu de cheminée. Ils faisaient tous des têtes… et il y avait écrit « Joyeux noël de la part des Waterford ! » C’était très drôle, mais cela restait une private joke. Non, on ne fera pas d’épisode musical, désolé.
La saison 2 de The Handmaid’s Tale est actuellement en diffusion tous les jeudis à 20h40 sur OCS Max.