The Good Wife, c’est l’histoire de l’éducation d’Alicia Florrick. Michelle et Robert King, créateurs de la série, l’ont suffisamment répété au cours d’innombrables interviews pour que quiconque un tant soit peu fan de la série l’ait intégré. Il n’y avait donc au final rien d’étonnant à ce que l’ultime saison opère un net recentrement sur son héroïne. Une chose qu’on ne peut définitivement pas enlever aux Kings, c’est qu’ils se tiennent à leur vision. Contre vents, marées et fonds verts mais ils s’y tiennent. Peut-être un peu trop, d’ailleurs.

The Good Wife – CBS – 2016
Julianne Margulies (ou Tatie Juju pour les intimes) nous a donc livré cette année son ultime changement de perruque. Pas le plus inspiré c’est vrai, un retro chic un peu raide, avant une certaine libération des mèches sur le tard. C’est un peu à l’image de cette saison, en fait. Plus sage dans son rythme, centré sur un retour aux sources parfois un peu bancal mais pertinent, avec parfois des derniers élans créatifs. Une chose est sûre, c’est que, même si ce chant du cygne n’a pas été aussi mélodieux que prévu, la série judiciaire de prestige de CBS a su rester fidèle à elle-même. La série qui s’est amusée avec les limites de son statu quo et qui s’est évertuée à se réinventer n’a pas disparu. Elle commence même la saison, tambour battant, avec une énième reconfiguration et Alicia face à un nouveau challenge. L’avocate est de retour en bas de l’échelle juridique alors qu’elle lance son propre cabinet, après le déshonneur de son élection truquée (à son insu! Qu’on soit bien clair là-dessus). Elle doit donc non seulement travailler à sa rédemption en tant que « good wife » de potentiel futur président, Peter présentant sa candidature, et se confronter à la réalité de la bond court. C’est dans cet univers judiciaire ingrat que les cautions et incarcérations des suspects criminels sont décidées. Et elles s’enchaînent à la minute! Ce qui ne favorise pas toujours les traitements les plus justes et équitables.

Alicia Florrick (Julianna Margulies) – The Good Wife
La bond court s’avère alors une bonne trouvaille qui fournit le contexte parfait pour bousculer une dernière fois Alicia, tout en l’aidant à se reconstruire, ainsi qu’une nouvelle exploration intéressante des failles du système judiciaire américain. Elle permet aussi de trouver assez naturellement une nouvelle comparse à Alicia en la personne de Lucca Quinn (délicieuse Cush Jumbo, la jolie révélation de cette saison). La saison ne s’éternise pas, néanmoins, en bond court car la série n’en démord pas, elle veut nous raconter la tristement peu trépidante course à l’investiture de Peter. Un peu comme cette vieille tante qu’on a tous, qu’on voit une fois de l’an, dont on est obligé de supporter les histoires de bobos parce qu’on est trop polis pour l’interrompre. Heureusement les névroses d’Eli et sa guéguerre avec Ruth Eastman, nouvelle directrice de campagne, excellente Margo Martindale, bien qu’essentiellement faites de cabotinages, amusent suffisamment pour faire passer le temps.
L’intrigue politique, peut-être une des plus moribondes de la série, où l’on sent que personne n’y croit, pire que les Bleus au mondial 2010 j’ai envie de vous dire, finit inévitablement en pétard mouillé. Au milieu de ces péripéties, les errances d’Eli offrent au moins un développement du personnage bienvenu malgré une romance express un peu artificielle. Celle-ci est aussi l’occasion de déterrer une intrigue irrésolue du passée, gardée bien longtemps au frais, un peu comme ce yaourt qui est périmé depuis 3 ans que vous avez oublié au fond du frigo mais qui reste bien conservé dans l’absolu et puis il fait partie du décor maintenant, alors à ce stade… Bref, le message effacé de feu Will Gardner à Alicia refait surface et la confession d’Eli sur sa destruction sert d’opportunité scénaristique pour faire toucher le fond à l’avocate une dernière fois. Cela est fabuleusement mis en scène au cours d’une 1ère séquence d’anthologie de lancer d’assiette d’Alicia puis lors d’un metldown dans la buanderie quelques épisodes plus tard.

Julianna Margulies et Jeffrey Dean Morgan – The Good Wife
La révélation du message effacé 6 saisons plus tard a le mérite d’établir clairement la notion de boucle bouclée importante en dernière saison. Puis elle fournit à Alicia, une fois acculée, la lucidité nécessaire pour prendre son destin en main, tant professionnellement que personnellement. La voilà donc succombant à son irrésistible investigateur joué par Jeffrey Dean Morgan qui, avouons-le, se cantonnera à jouer un fantasme de romance sauvage sans complications… mais de manière très convaincante au moins. La voilà aussi de retour à Lockhart Whatever (insérez le nom de cabinet dont vous vous rappelez) qui jusque là avait eu du mal à exister dans la saison, isolé et embourbé dans des intrigues anecdotiques de guéguerres générationnelles et de discrimination. Le cabinet retrouve donc un certain équilibre en fin de saison, même si Cary restera sous-exploité et Diane un peu oubliée avant de briller à nouveau avec le retour de son mari.

Julianna Margulies et Chris Noth – The Good Wife
Pour la toute dernière ligne droite de la série, les Kings misent à nouveau sur Peter qui revient sur le devant de la scène avec une nouvelle enquête dont il est la cible qui pourrait bien le renvoyer tout droit en prison. Si ce choix reste pertinent pour effectuer un parallèle entre la Alicia des débuts et celle qui a évolué en 7 saisons, son traitement souffre de raccourcis et de redites vraiment dommageables. Rien qu’expliquer que c’est parce que Peter a perdu la course à l’investiture qu’il est forcément un politicien plus vulnérable est une justification un peu capilotractée qui ferait rire bien des politiciens français. Bon peut-être pas DSK. De plus, donner autant de temps d’antenne à Peter, aussi bon soit Chris Noth, et laisser parfois un peu Alicia sur le banc de touche dans l’acte finale, n’était peut-être pas la décision la plus judicieuse. Je veux dire, le personnage est apparu tellement sporadiquement en 7 ans, sans être vraiment développé en profondeur qu’il est difficile de se sentir un tant soit peu investi dans ce qui lui arrive. Que les crimes dont on l’accuse n’aient aucune existence à l’écran, survenant comme un cheveu dans la soupe, n’arrangent rien. Heureusement, il y a toujours un peu d’humour au rendez-vous et la série effectue un bon travail de toutéliage, bon un peu en dernière minute, pour que l’ensemble reste un minimum intéressant.
Il n’empêche que ce sont surtout les choix et réactions d’Alicia qui importent avant tout dans cette affaire. A ce niveau-là, la série vise juste. L’annonce du divorce d’Alicia fonctionne comme un moment totalement scénaristiquement mérité (même si on ne se serait pas plaint de le voir arriver plus tôt), le personnage ayant assez mûri et s’étant assez détachée de son image de good wife. Son ultime soutien dans le procès de Peter donne aussi de multiples occasions de souligner toute la complexité du personnage et son évolution. La fin de la série est encore plus particulièrement éclairante là-dessus. Alicia reste au plus profond d’elle-même, une good wife, ou originellement une good girl, qui pense faire ce qui est juste mais elle est aussi devenue une femme qui a su se libérer (vous n’y échapperez pas, cue to https://www.youtube.com/watch?v=JAQRWmAcmW4) des perceptions et de ses complexes pour faire davantage ce qui est bon pour elle. Sauf que, comme le souligne un visage du passé dans le final, Alicia « a très peu conscience d’elle-même »… ce qui la conduit dans ce processus à de plus en plus flirter avec les limites de l’éthique et à faire du mal pour ses propres intérêts, parfois sans s’en rendre compte. Si bien qu’il fallait peut-être bien une baffe pour lui faire ouvrir les yeux.

Alicia Florrick (Julianna Margulies) – The Good Wife
Bon, tout ce que j’ai pu écrire sur cette dernière saison peut ne pas en donner l’impression, mais j’aime quand même The Good Wife de tout mon être. C’est drôle parce que ce n’était même pas tant le cas au début. Ce n’était qu’un intérêt poli. J’ai appris à l’aimer comme Alicia a appris à aimer et à s’aimer, en fait. Ma passion pour cette série et son héroïne s’est construite à mesure qu’elle a affiné son portrait de femme et qu’elle a enrichi son univers, entre galerie de fabuleuses guest stars et explorations scénaristiques et judiciaires inédites. Qu’importe si cette dernière saison est un adieu imparfait, elle restera un drama de network unique et intelligent, peut-être le dernier dans son genre et rien que pour ça, elle mérite toutes les ovations. Je me souviendrai aussi de la série comme une fascinante étude de la moralité. Le good du titre, loin d’être anodin, synthétise tout le message de la série qui demande: qu’est-ce qu’être bon au final? Si l’on estime être quelqu’un de bien, est-ce que l’on fait forcément toujours du bien autour de nous? Sans apporter de réponses évidentes, les Kings auront tenté d’examiner ces questions jusque dans leur révérence finale qui nous réitère aussi bien ce qu’ils nous signifiaient depuis le début: le plus gros défaut de The Good Wife, c’est son mari.
7/10

The Good Wife, une femme face à son destin
Pingback: J’ai vu Gilmore Girls pour la première fois en 2016 | Sur Nos Ecrans